Chapitre 24

 

Cooper était conscient et sensible quand nous le quittâmes. Traumatisé, en colère, effrayé, mais à part ça, il allait bien. Adam devait s’attendre que je l’agresse dès que nous monterions dans la voiture, mais cela ne se passa pas comme ça. Nous roulâmes peut-être un quart d’heure en silence avant qu’il me jette un regard en coin.

— Tu as prévu de me dire ce que tu penses de moi ? me demanda-t-il.

Je laissai échapper un long soupir, espérant en vain que cela soulagerait mon corps de sa tension.

— D’ordinaire, je l’aurais fait. Mais tu sais ce qu’on dit des gens qui devraient balayer devant leur porte.

Autrefois, j’aurais pensé que le fait qu’Adam ait prémédité le meurtre de Valerie était bien pire que s’il avait agi sous le coup de l’impulsion. Mais n’étais-je pas allée chez Cooper en me préparant à l’éventualité qu’Adam le tue si nécessaire ? Qu’étais-je devenue ? Je frissonnai. Je n’étais pas certaine de tenir à le savoir.

— Au moins, nous avons ce que nous voulions savoir de Cooper sans avoir besoin de lui faire du mal, commenta Adam.

C’était une maigre consolation mais il faudrait que ça fasse l’affaire.

— Tu as ce que tu voulais savoir. Tu as l’intention de partager tes informations avec les petites gens ?

Il grogna, sembla-t-il, d’amusement – bien sûr, cela pouvait tout aussi bien être de la rigolade. Il resta silencieux si longtemps que je crus qu’il n’allait pas répondre. Peut-être avait-il décidé qu’il ne parlerait pas sans l’accord de Lugh. Mais c’était de mes origines qu’il s’agissait. J’avais le droit de savoir.

Apparemment, Adam était d’accord sur ce point.

— Dougal a essayé de créer un hôte meilleur.

— Créer ? demandai-je, étonnée.

Adam acquiesça.

— Nous avons compris l’intérêt des gènes et de l’hérédité dès l’instant où nous sommes arrivés sur la Plaine des mortels. Cela a toujours été contre nos lois de les manipuler mais apparemment Dougal s’en fiche complètement. Il a commencé il y a des siècles en enlevant des femmes enceintes et en faisant posséder l’enfant qu’elles portaient par un démon. Afin de manipuler les gènes des fœtus, il se servait des mêmes compétences auxquelles nous faisons appel pour guérir nos hôtes.

La douleur me poignarda la tête. Lugh me faisait savoir ce qu’il pensait des expériences sur cobaye entreprises par Dougal. Je ne pense pas qu’il l’ait fait intentionnellement et la douleur cessa presque aussitôt.

— Qu’est-ce qu’il espérait accomplir exactement ? Et qu’est-ce que Raphael vient faire là-dedans ?

— Dougal n’a pas mis les pieds dans la Plaine des mortels depuis le début de son projet. Il le dirige par le biais de Raphael. Quant à ce qu’ils ont essayé d’accomplir… Ils ont essayé de créer un hôte plus puissant. Plus fort, plus rapide, moins vulnérable, vivant plus longtemps et plus simple à contrôler.

— Plus simple à contrôler ! criai-je. Vous contrôlez complètement nos corps quand vous nous possédez ! Qu’est-ce qui pourrait être plus facile ?

Dans la lumière intermittente des lampadaires, je perçus l’expression sinistre d’Adam.

— Ce serait plus simple si l’hôte n’était pas assez intelligent pour s’opposer.

Mon visage avait dû virer au vert.

— Pour des démons comme Raphael, continua Adam, côtoyer une personnalité dans le corps d’un hôte est un inconvénient. Pour des démons comme moi, l’interaction mise en place avec l’hôte fait partie de l’attrait de vivre dans la Plaine des mortels. Si Adam n’était qu’une simple coquille vide que je doive remplir, je ne crois pas que j’aurais choisi de revenir dans la Plaine des mortels après mon premier passage. J’apprécie les plaisirs de la chair, c’est une certitude. Mais ce ne serait pas la même chose sans Adam.

— Alors si je comprends bien, Dougal et Raphael espèrent créer une race de légumes superhumains ?

— En gros, oui.

— Et mon père était un de leurs rats de laboratoire !

Adam acquiesça.

— Apparemment, le Cercle de guérison est bien plus que ce qu’on croit. D’importants laboratoires et des cellules de détention occupent les sous-sols de l’hôpital. Ils y élèvent différentes… espèces, en essayant d’isoler les caractéristiques les plus appropriées. L’espèce de ton père a été développée essentiellement en raison de ses capacités de guérison plus étendues et, ils espéraient, de sa longévité. Quand cette « fournée » – pour reprendre les mots de Cooper – a atteint sa maturité, ils ont invoqué des démons pour les posséder. Tu peux deviner ce qui s’est passé ?

Je réfléchis un moment avant d’acquiescer.

— Ils ont découvert que cette fournée résistait à la possession.

— Pas seulement qu’elle résistait, mais qu’elle y était hermétique. Raphael a essayé en personne d’en posséder un spécimen, juste pour voir si cela était possible. Ils pensaient tout de même que cette espèce était sur la bonne voie et que s’ils pouvaient l’enrichir de nouvelles caractéristiques, ils se rapprocheraient de leur idéal. Puis ils ont découvert que ces spécimens étaient extrêmement difficiles à élever. Ils ont essayé d’ajouter d’autres caractéristiques et même de faire des croisements avec des êtres humains normaux, sans parvenir à obtenir de résultat viable. Alors Raphael a décidé qu’ils avaient fait fausse route avec cette race et il a donné l’ordre d’en détruire tous les spécimens.

La douleur me poignarda de nouveau la tête si fort que j’en eus le souffle coupé. Elle ne disparut pas aussi vite que la fois précédente.

— Ça va ? demanda Adam.

Je me pinçai l’arête du nez bien que cela ne m’apportât aucun soulagement.

— Calme-toi, Lugh ! dis-je. Je t’en prie ! (La douleur s’estompa et je soupirai de soulagement.) Continue, dis-je à Adam.

— Tu connais en gros le reste. Ton père a échappé à l’épuration. Quand Raphael a découvert que ta mère était enceinte, il a voulu profiter de ce qu’il considérait être une chance. De toute évidence, les choses ne se sont pas vraiment passées comme il le voulait.

Je faisais de mon mieux pour digérer tout ce qu’Adam m’avait révélé mais ce n’était pas vraiment simple. Je veux dire, bordel ! je pouvais ruminer tout ça pendant une semaine sans parvenir à le digérer.

— Et la Société de l’esprit est mêlée à tout ça, dis-je car il n’y avait pas d’autres moyens que Cooper en ait su autant.

— Difficile à croire, n’est-ce pas ?

Appuyant ma tête contre le dossier, je fermai les yeux.

— Pas vraiment. Ce sont des fanatiques. Si leurs fichus Pouvoirs supérieurs leur demandent de l’aide pour créer des légumes surhumains, ils le feront. Tu sais ce qui est arrivé à mon père biologique ?

Adam secoua la tête.

— Cooper n’en a aucune idée. Ton père n’a jamais été retrouvé. Et la raison pour laquelle Cooper était à ce point terrifié par Raphael, c’est qu’il a vu ce que Raphael a fait au directeur du labo après l’évasion de ton père. Disons juste qu’à côté de lui, je passe pour une chochotte.

— Épargne-moi les détails, dis-je en me réjouissant qu’il m’écoute, pour une fois.

Le reste du trajet se déroula dans le silence. J’aimerais pouvoir dire que je réfléchissais profondément à la nature du fanatisme et au caractère sacré de la vie humaine, mais franchement je ne faisais que ruminer. J’étais dans un de ces moments « pourquoi moi ? ». J’y avais bien droit. Bien sûr, si je n’y prenais garde, ce moment « pourquoi moi ? » se transformerait en une semaine « pourquoi moi ? », voire en un mois « pourquoi moi ? ».

Après s’être garé devant mon immeuble, Adam se tourna maladroitement vers moi.

— Euh, est-ce que tu veux que je monte avec toi ? Est-ce que tu as besoin de parler ?

C’était bien la dernière chose à laquelle je m’attendais, un geste gentil de la part d’Adam. Bizarrement, sa gentillesse inhabituelle me fit monter une boule dans la gorge. Je me forçai à sourire alors que j’aurais d’ordinaire trouvé une réplique sarcastique.

— Merci, mais je crois que j’ai besoin de rester seule pour le moment.

Il acquiesça, compréhensif, et je descendis de la voiture. Je dus lutter contre l’envie de le regarder s’éloigner.

 

Je pensais avoir eu ma dose de conflits et de traumatismes pour la journée. Mais je me trompais.

J’avais été tellement distraite par l’idée d’interroger Cooper – et par le fait d’imaginer de quelle manière cet interrogatoire se déroulerait – que j’en étais arrivée à oublier miraculeusement Brian. Dans l’ascenseur qui montait vers mon étage, je me rappelai que j’étais supposée avoir une petite discussion avec lui. Je grognai intérieurement. Il allait m’en vouloir d’avoir attendu mon appel aussi longtemps. Sans compter qu’il devait déjà assez m’en vouloir pour l’avoir rendu complice d’un meurtre. Si j’avais eu une chance d’éviter cette discussion, vous pouvez parier que je l’aurais saisie. Ceci étant, je passai toute la montée en ascenseur à me mordiller la lèvre, en essayant d’anticiper les questions qu’il allait me poser. Comment allais-je y répondre ? Oserais-je être complètement honnête ? Impossible à dire, particulièrement quand j’étais incapable de savoir ce que j’attendais de lui.

Perdue dans mes pensées, j’entrai dans mon appartement. Je jetai mes clés sur un guéridon et me tournai vers la penderie pour ranger le Taser que j’avais trimballé dans mon sac toute la journée.

C’est alors que je remarquai que les lumières étaient allumées. J’étais certaine de les avoir éteintes avant de partir. Prenant cette fois mon Taser avec une intention tout à fait différente, je me tournai vers le salon.

Cela en disait long sur l’état de distraction dans lequel je me trouvais car je n’avais pas remarqué que Brian était assis sur mon canapé à l’instant où j’avais franchi la porte. Quand je le vis, je poussai un petit cri et portai la main à ma poitrine pour sentir les battements sauvages de mon cœur.

— Seigneur, tu m’as fait peur, dis-je en inspirant profondément pour essayer de me calmer et en lâchant tardivement le Taser.

Brian, enfoncé dans le canapé, me considéra de son regard impénétrable d’avocat.

— Comment es-tu entré ? demandai-je, toujours incroyablement troublée.

Il secoua la tête, son regard d’ordinaire chaud était froid.

— J’attendais ton coup de fil. Je me suis lassé d’attendre alors je suis venu. Andrew était là à déménager ses affaires et il m’a gentiment laissé entrer pour que je t’attende.

Andy méritait un bon coup de pied au cul. Mais remonter les bretelles de mon grand frère n’était pas dans mes priorités du moment. Laissant échapper un soupir que j’espérais silencieux, je laissai tomber mon sac sur la table de la salle à manger et m’assis à l’autre bout du canapé.

— Je suis désolée, lui dis-je en le pensant sincèrement. Ma vie est un véritable chaos en ce moment et je ne peux gérer qu’un ou deux problèmes à la fois. J’avais prévu de t’appeler en rentrant.

— Hum hum.

Sa voix dégoulinait de scepticisme.

— Je t’assure ! insistai-je.

Inutile de mentionner que je n’avais pas trouvé ce plan avant que les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Il n’avait pas pour autant l’air moins dubitatif et je ne pouvais lui en vouloir. Passant la main dans mes cheveux, je regrettai que Raphael n’ait pas choisi un autre hybride humain/superhôte pour héberger son frère le roi. Ma vie n’avait certes pas été un long fleuve tranquille avant, mais j’étais prête à échanger les problèmes que j’avais aujourd’hui avec ceux que j’avais à l’époque.

— Qu’est-ce que tu attends de moi ? dis-je presque dans un murmure. Je suis possédée par le roi des démons et il y a pas mal de gens qui ont envie d’avoir ma peau. Ma vie amoureuse ne peut pas être ma priorité.

Il ricana.

— Comme ç’a toujours été le cas, marmonna-t-il. Pourtant cela ne concerne pas ta vie amoureuse. Tu me dois pas mal de réponses.

Brian était trop introspectif pour se tromper à ce point sur lui-même mais s’il voulait se concentrer sur autre chose que notre relation embrouillée, alors ça m’allait.

— Très bien, dis-je. Pose-moi tes questions.

Ce qu’il fit. Et je lui répondis aussi honnêtement que je l’osais.

L’interrogatoire dura presque une demi-heure. Brian était en mode avocat, ce qui voulait dire qu’il révélait le moins possible ses émotions. Quant à moi, j’étais bien trop épuisée pour éprouver quoi que ce soit.

Quand il fut à court de questions, nous restâmes silencieux, perdus dans nos pensées. La faille qui s’était ouverte entre nous m’infligeait une douleur physique et je réalisai que les raisons pour lesquelles je l’avais repoussé n’étaient pas aussi altruistes que je l’avais cru. L’avais-je repoussé pour son bien ? Ou bien était-ce parce que c’était plus simple pour moi de le repousser selon mes règles que de le voir me quitter ? En l’observant ressasser tout ce que je venais de lui dire, je n’en étais pas certaine et, au fond de moi, j’avais mal.

— Est-ce que tu m’aimes encore ? demanda-t-il sans prévenir et je faillis presque sursauter tant son silence avait été long.

La douleur quitta mon centre pour se loger dans ma gorge. Je regardai mes mains serrées sur mes cuisses, incapable de supporter son regard. Si je voulais continuer à le protéger – et protéger mon propre cœur –, je devais lui répondre « non ». Il ne me croirait probablement pas : après tout, il ne m’avait pas cru jusque-là, et je ne voyais aucune raison pour que cela change. Mais les mots pouvaient consolider la forteresse que j’avais édifiée autour de mon cœur.

Je m’efforçai de le renier. En vain.

— Je n’ai jamais cessé de t’aimer, dis-je doucement, les yeux toujours rivés à mes mains jointes. J’ai voulu mais je n’y suis pas parvenue. (Mes yeux me brûlaient comme si j’étais sur le point de pleurer, mais je clignai rapidement des paupières pour faire disparaître cette brûlure.) L’amour ne vainc pas tout. Il y a simplement trop d’obstacles. (Il commença à protester mais je levai la main pour lui intimer de se taire.) J’ai vécu des moments vraiment malheureux dans ma vie, mais cela n’avait rien à voir avec ce que j’ai ressenti quand Raphael t’a kidnappé. (Je me forçai à le regarder sans masquer mon angoisse.) Tu ne comprends pas que je ne peux envisager de revivre une telle situation ?

À ma grande consternation, il se rapprocha de moi. Si j’avais pu m’éloigner sans basculer par-dessus l’accoudoir du canapé, je l’aurais fait. Quand j’essayai de détourner la tête pour éviter son regard, il posa la main sur mon visage pour m’immobiliser. Tout mon corps fut secoué de plaisir à ce simple contact.

— Cesse de te mentir à toi-même, Morgane, me gronda-t-il gentiment. Je sais que cela a été terrible pour toi – ça n’a pas été une partie de plaisir pour moi non plus – mais tu me repoussais déjà bien avant que ceci arrive. J’ai réussi à t’aimer malgré tout, même quand tu es une emmerdeuse. De quoi as-tu si peur ?

La réponse facile, la réponse que je m’étais faite dès l’instant où j’avais compris que mon cœur était en danger, était que j’avais une mauvaise influence sur lui, qu’être avec moi le faisait mal tourner et le changeait, détruisait l’homme que j’avais aimé. Mais je savais à présent que ce n’était pas vrai. La vérité, c’était que je craignais qu’un jour il devienne plus sage et prenne conscience du spécimen pitoyable d’humanité que j’étais. Pour commencer, je n’avais pas grande estime de moi-même. Si j’ouvrais mon cœur à Brian et qu’il me le balançait à la figure, je n’étais pas certaine d’être capable de le supporter.

Impossible que je lui fasse un tel aveu. Ma lâcheté émotionnelle habituelle me fit changer de sujet.

— Est-ce que tu vas appeler les flics pour nous dénoncer ?

Il éclata d’un rire sans joie.

— Je dois être fou pour continuer à me taper la tête contre ce mur, marmonna-t-il ; je grimaçai. Je me demande si tu en vaux vraiment la peine.

J’étais encore sonnée par la douleur de ces propos quand il m’attrapa, me tira contre lui et m’embrassa. Je résistai peut-être dix secondes à ce baiser. Quand je m’y abandonnai, je le fis de tout mon cœur, mes bras autour de son cou, m’accrochant à lui.

Après toutes ces semaines sans ses baisers, j’en avais presque oublié combien ils étaient bons. Maintenant je m’en rappelai avec violence et mes sens étaient sous le choc. Quand sa langue plongea dans ma bouche, je laissai échapper un gémissement désinhibé de plaisir. Sa main se posa sur mon visage et la chaleur de ce contact fit fondre un peu de la glace qui s’était formée autour de mon cœur.

Je voulais qu’il n’arrête jamais. Ses lèvres étaient sur les miennes et mon esprit se fit la belle. Au lieu de penser tout le temps, je me contentai de ressentir.

Malheureusement, Brian avait encore des choses à me dire et il brisa ce long baiser bien avant que je m’y sois préparée. J’émis une protestation incohérente et tentai de capturer une nouvelle fois ses lèvres, mais il posa les mains sur mes épaules pour m’écarter. Il respirait fort et ses yeux étaient obscurcis par le désir, pourtant il trouva la volonté d’arrêter.

— Je t’aime, Morgane, dit-il en plongeant intensément son regard dans le mien. Je crois que tu vaux le coup qu’on se batte pour toi. Mais il va falloir que tu y mettes aussi du tien. Je ne peux indéfiniment tenir notre relation en l’état.

Mon cœur se serra, je savais qu’il avait raison. Je tendis la main pour lui caresser la joue.

— Crois-moi si tu le veux, j’essaie. Mais nous savons tous les deux combien je suis bousillée. J’étais en vrac bien avant que je me retrouve au centre d’une guerre civile de démons. Je ne sais pas si je suis capable d’entretenir quoi que ce soit qui ressemble à une relation normale.

Il secoua la tête.

— C’est une excuse bidon. Beaucoup de gens ont des familles pourries et parviennent pourtant à avoir des relations solides.

Je n’étais pas certaine d’être d’accord. Il me semblait que ces prétendues relations solides n’étaient probablement que des illusions. Comme il était peu probable que je rallie Brian à mon opinion, je la gardai pour moi.

— Je vais faire de mon mieux, dis-je. Je sais que c’est déplacé en bien des domaines, mais…

Une fois encore, il m’interrompit par un baiser. S’il devait continuer à me couper la parole, il avait définitivement trouvé ma méthode préférée. Cela ne résolvait aucun des problèmes entre nous mais je me sentais tellement bien ! Consciente que j’allais me compliquer la vie davantage, je m’abandonnai néanmoins à ce baiser, à son goût, à son odeur, à son contact. Le feu coulait dans mes veines et mon cœur tambourinait dans ma poitrine tandis que je lui montais sur les genoux.

Mes mains, se déplaçant selon leur volonté propre, défirent d’un coup, les boutons de sa chemise. Mes doigts bandés rendaient mes gestes maladroits et je perdis patience. L’embrassant toujours comme si ma vie en dépendait, je grattai les bandages avec mes ongles jusqu’à en trouver l’extrémité puis j’arrachai d’un coup le pansement avant de le jeter.

Les doigts dorénavant libres, je m’empressai de défaire les derniers boutons de la chemise de Brian pour caresser la peau de son torse. Le peu de pilosité dont il était doté était douce et soyeuse sous ma caresse. Quand je dénichai ses mamelons et les pinçai, il sursauta en gémissant sous moi. Il releva ma chemise et mon soutien-gorge pour dénuder mes seins, ne prenant pas la peine de déboutonner ni de dégrafer quoi que ce soit. Je pinçai de nouveau ses mamelons et il s’avança d’un coup en se saisissant des miens entre ses lèvres adroites.

Je gémis à mon tour, mon dos se cambrant malgré moi. Sa langue râpait mes boutons durcis et il les suçait juste assez pour que cela soit presque douloureux. Puis il passa les mains sous mes fesses pour me coller contre lui avant de se lever. L’entourant de mes jambes, je m’accrochai à sa nuque tandis qu’il m’emmenait dans la chambre.

Il me posa debout près du lit, puis s’attaqua aux boutons de mon jean. Je profitai de ce moment de distraction pour passer ma chemise par-dessus tête et me débarrasser de mon soutien-gorge. Je repoussai ses mains avant qu’il en ait fini avec mes boutons, mais son cri de protestation mourut dès que je fis glisser sa chemise sur ses épaules. Je tendis la main vers sa ceinture pendant qu’il défaisait les derniers boutons de mon jean.

Le fragment de mon esprit qui était encore doté d’un soupçon d’intelligence remarqua que Brian portait à la ceinture un téléphone portable et un autre accessoire de même taille. Je lui en parlerais – car il me semblait qu’il s’agissait d’un minipistolet hypodermique – mais plus tard. Nous avions pour le moment d’autres choses plus importantes à faire.

Brian balança ses chaussures tandis que je lui baissais son pantalon et son slip sur les chevilles. J’avais dans l’idée de me mettre à genoux pour le prendre dans ma bouche mais il était apparemment pressé d’en arriver à l’essentiel. Il me poussa sur le lit et se mit à tirer sur mon jean et ma culotte avant de jurer quand tout se bloqua au niveau de mes chaussures de sport. Il jura encore en me les ôtant et réussit finalement à libérer mes jambes du fatras de vêtements.

Brian était d’ordinaire un amant lent et doux, appréciant autant les préliminaires et la montée de l’excitation que l’orgasme. Ce soir-là, il était trop pressé, il avait trop envie. Mais moi aussi, je me trouvais dans le même état. Il se laissa tomber sur moi, écartant mes jambes de son genou. Nous n’étions même pas allongés totalement sur le lit. Mes jambes pendaient sur le bord quand il me pénétra d’un coup puissant, presque furieux. Je l’entourai de mes jambes et essayai de tirer son visage à moi pour l’embrasser, mais il me cloua les poignets de part et d’autre de ma tête.

Je m’apprêtai à protester devant cette soudaine démonstration de domination. Je voulais le toucher, je voulais sentir ses muscles trembler et son cœur battre sauvagement pendant qu’il me prenait. Pourtant, dès qu’il commença à bouger en moi, mon mécontentement se transforma en un grognement prolongé de plaisir.

Il poussait en moi avec une telle force que je sentais le lit bouger sous nos corps. La sueur perlait sur son visage et il respirait bruyamment. Ses mains serraient mes poignets brutalement, me maintenant en place afin qu’il puisse me pilonner aussi fort qu’il le désirait. Mes doigts se crispèrent en poings, mes ongles s’enfonçant dans mes paumes, tandis que j’essayais de contrôler la vague de sensations qui menaçaient de me submerger.

Je ne voulais pas aimer ça. Brian était si brutal avec moi que j’allais être contusionnée et irritée ensuite. Probablement que j’aurais déjà dû ressentir de la douleur, mais les endorphines et l’adrénaline ou simplement le désespoir pur m’empêchaient d’avoir mal. La pression sur mes poignets et la sensation d’être clouée auraient dû me mettre en colère. Il n’y avait aucun partage dans cet ébat. Et pourtant mon corps chantait de plaisir, mon dos se cambrait, mes talons s’enfonçant dans son cul, ma bouche ouverte sur un cri silencieux.

Puis l’orgasme me frappa et le cri ne fut plus silencieux. Le son qui m’échappa était rauque, et urgent, et si fort qu’on dut m’entendre dans l’immeuble voisin. Mon cri déclencha aussitôt l’orgasme de Brian et il me pilonna encore plus fort.

Quand ce fut fini, il s’effondra sur moi, ses mains relâchant leur prise mortelle sur mes poignets dès l’instant que son front toucha le mien. Nous haletions pour reprendre notre souffle, tous deux baignés de sueur. Je n’avais presque plus de forces, pourtant je l’entourai de mes bras et le tirai à moi, mes mains caressant la peau glissante de son dos.

Plus la sueur sur mon corps devenait fraîche, plus je prenais conscience d’une sensation de brûlure entre mes jambes et d’une douleur vive aux poignets. Apparemment, l’adrénaline était retombée. Malgré cette sensation désagréable, je ne parvenais pas à regretter ce que nous venions de faire. Brian n’avait pas été l’amant doux et sensible que j’avais attendu mais c’était toujours l’homme que j’aimais.

Haletant toujours, il se glissa hors de moi puis passa ses bras sous mon corps pour me hisser sur le lit. Il m’y rejoignit pour m’enlacer. Nos jambes s’emmêlèrent et, la tête coincée sous son menton, l’oreille posée sur son torse, j’écoutais les battements de son cœur.

Nous ne parlions pas, préférant rester allongés dans les bras l’un de l’autre en reprenant notre souffle. Je fermai les yeux et inspirai son odeur familière et musquée, le parfum qui m’avait tellement manqué depuis le jour où j’avais repoussé Brian. Et je sus que j’étais perdue.

Peu importait le danger qu’il risquait en étant avec moi et peu importait que je lui remette entre les mains le pouvoir de briser mon cœur en mille morceaux, il m’était impossible de continuer à le repousser. J’avais trop besoin de lui, j’avais besoin d’être avec l’homme qui m’aimait comme j’étais, même si je n’étais pas certaine que notre amour résiste au temps.

Je levai la tête pour lui faire une déclaration romantique et appropriée mais, avant que j’ouvre la bouche, le téléphone sonna. Nous grimaçâmes de concert.

— Ils pourront laisser un message, dit-il en caressant ma joue encore couverte de sueur.

Je fus sérieusement tentée d’ignorer ce fichu téléphone. J’avais encore tellement de choses à dire et je devais lui dire maintenant sinon je risquais de me dégonfler. Mais comme Lugh me l’avait fait remarquer en maintes occasions, il y avait beaucoup plus en jeu que ma propre vie et mon bonheur. Je m’assis avec un gémissement malheureux, la brûlure entre mes jambes m’arrachant une grimace.

— Avec tous les drames que je provoque, il faut que je sache au moins qui c’est.

Je sentis ses yeux sur moi quand je tendis la main vers le téléphone pour consulter l’identification d’appel. C’était l’accueil de l’immeuble, ce qui annonçait habituellement un visiteur ou un colis. Il était trop tard pour que cela soit un colis.

Je faillis lâcher le combiné quand M. Watkins, le réceptionniste, m’annonça que mon père souhaitait monter. Mon cerveau tressauta comme un pantin tandis que je m’efforçais de deviner (1) quelles étaient les chances que ce soit vraiment mon père et (2) ce qu’il me voulait s’il s’agissait bien de lui.

M. Watkins attendit patiemment pendant ces spéculations qui me prirent cinq bonnes minutes.

— Mademoiselle Kingsley ? demanda-t-il enfin quand mon hésitation lui parut trop longue.

Si mon père était réellement sorti de sa cachette pour venir me parler, alors je supposais que je n’avais pas d’autre option que de le voir. Peut-être que la Société de l’esprit l’avait envoyé sur l’ordre de Dougal pour m’extirper des informations. Peut-être Cooper l’avait-il appelé pour l’avertir que j’étais au courant de ce qui s’était passé et mon père était venu s’excuser. Eh ! pas mal comme rêve !

— Faites-le monter.

Brian me lança un regard réprobateur quand je glissai hors du lit et je lui adressai un sourire d’excuse en enfilant mon jean.

— C’est mon père. Il faut que je lui parle.

J’avais tellement de choses à dire à mon père. Pourtant la perspective de lui faire passer un mauvais quart d’heure pour ce qu’il avait laissé la Société me faire était beaucoup plus tentante que je voulais l’admettre.

— Je vais essayer d’écourter.

Je passai ma chemise sans m’encombrer du soutien-gorge.

— Attends-moi, dis-je à Brian en me penchant pour lui donner un baiser rapide.

Mais il se leva pour rassembler ses affaires.

— Je vais attendre, m’assura-t-il avant que je puisse protester. Je ne vais juste pas t’attendre à poil au lit alors que ton père se trouve dans la pièce d’à côté.

J’éclatai de rire avant d’apercevoir le pistolet hypodermique attaché à sa ceinture.

— Quand as-tu acheté ça ? demandai-je en désignant l’objet d’un mouvement du menton.

— Ce matin. Je me sentais un peu nerveux après tout ce qui s’est passé.

Je fronçai les sourcils. Je n’aimais pas l’idée que Brian porte une arme. Bien sûr, je voulais qu’il puisse se défendre au cas où un démon l’attaquerait, mais c’était un pas supplémentaire sur une route que je ne souhaitais pas le voir emprunter. Je jetai un œil aux hématomes qui se formaient sur mes poignets et réalisai qu’il était peut-être déjà plus avancé sur ce chemin que je voulais l’admettre.

Ma sonnette retentit. Même si j’avais envie de rester dans la chambre avec Brian, pour lui parler et pour arranger les choses entre nous, ce n’était pas le moment. Le laissant finir de s’habiller, je me glissai dans le salon quand la sonnette retentit pour la seconde fois. J’hésitai avant d’ouvrir la porte. Mon père avait comploté avec la Société et les frères de Lugh afin que je sois possédée par un démon contre mon gré. Il m’avait droguée afin de pouvoir m’emmener à l’hôpital, puis apparemment m’avait laissée à la merci de Cooper et de Neely sans une arrière-pensée. Savait-il ce que ces salopards avaient prévu de faire de moi ? Avait-il fermé les yeux sur le fait qu’ils allaient me torturer ?

Mon esprit se rebella à cette pensée. Peu importait qu’il ne soit pas mon père biologique, peu importait que nous ne nous soyons jamais entendus, il m’avait quand même élevée depuis ma naissance. Mon esprit ne pouvait intégrer l’idée qu’il puisse être mauvais. Oui, il avait essayé de me livrer aux démons mais, dans sa vision du monde, être possédée était une bonne chose.

On sonna une troisième fois. En dépit de ma conviction profonde que mon père ne me ferait pas de mal, je repêchai mon Taser dans mon sac avant de répondre. J’ouvris la porte après avoir jeté un œil par le judas pour m’assurer que c’était bien mon père qui était là. Comme unique concession à notre relation familiale, je gardai le Taser au côté sans le viser, bien que l’engin soit armé et prêt à tirer.

Son visage, alors qu’il se tenait là à me considérer, était d’une neutralité étudiée, même s’il nota la présence du Taser. Je dus résister à l’envie de lui envoyer mon poing dans la figure.

— C’est sympa de passer, papa, dis-je. Donne-moi une bonne raison de ne pas te claquer la porte au nez.

Son expression ne changea pas.

— Tu ne m’aurais pas ouvert la porte si tu ne voulais pas me parler.

— J’ai autant envie de te parler que de me faire opérer des amygdales sans anesthésie.

— Alors qu’est-ce que tu attends pour claquer la porte ?

Je faillis le faire. Je parvins presque à me convaincre que j’avais eu mon quota de confrontations pour la journée. Mais si je claquais la porte, il se pouvait que je n’entende plus jamais parler de lui. Et, bon sang, j’avais une tripotée de questions à lui poser !

Avec un grognement de frustration – je déteste qu’on me démasque en plein bluff –, j’ouvris la porte en grand et reculai. L’expression de mon père changea enfin et une étincelle de triomphe brilla dans ses yeux. Il passa le seuil et ferma la porte derrière lui avant de la verrouiller.

Je n’avais pas l’intention de lui proposer de s’installer. J’adoptai ma posture la plus agressive, les jambes écartées à largeur d’épaules, la tête relevée et le doigt sur la détente du Taser. J’avais sûrement l’air d’une fille qui se prend pour un garde du corps, mais je m’en fichais.

— Alors où donc maman et toi avez-vous disparu ? demandai-je.

Il me dévisagea calmement.

— Si nous avions voulu que tu le saches, nous t’aurions laissé notre adresse.

Je fus surprise par cette réponse. C’était moi la petite maligne de la famille et mon père se contentait habituellement d’énoncer les faits. Il avait dû subir pas mal de pression ces derniers temps, bien que je doive admettre qu’il n’avait pas l’air particulièrement tendu. En fait, si je ne l’avais pas mieux connu, j’aurais pu croire qu’il s’amusait beaucoup.

— Je suppose que Cooper a appelé et t’a dit que je me souvenais de ce que vous m’aviez fait.

Pendant une demi-seconde, il sembla avoir l’air surpris, mais cette esquisse d’expression disparut avant que j’en sois certaine.

— Je ne t’ai jamais rien fait.

J’écartai sa réponse d’un geste de la main.

— Tu as laissé le docteur Neely et Cooper disposer de moi. Ils n’auraient pu le faire sans ta permission. Même toi, tu ne peux nier le rôle que tu as joué dans tout ça.

Il haussa les épaules.

— Si tu t’attends que je me torde les mains d’un air coupable, tu te fais des illusions. J’aurais pu insister pour que ta mère avorte. L’un dans l’autre, je pense que je t’ai traitée décemment.

Je retroussai la lèvre supérieure de dégoût.

— Si c’est le cas, il va falloir que tu vérifies la définition de « décemment » dans le dictionnaire. N’éprouves-tu pas une once de remords pour ce que tu as fait ?

Je n’avais jamais eu l’impression que mon père nourrissait un grand amour pour moi, mais j’avais toujours pensé qu’il était au moins investi d’un sentiment de responsabilité parentale. Étant donné son absence totale de remords, je suppose que ce n’était pas le cas.

Il rejeta ma plainte d’un geste de la main comme si celle-ci ne comptait pas pour lui.

— Ce n’est pas de ça dont je suis venu te parler.

J’étais pourtant terriblement tentée d’insister mais, après le numéro de disparition de mes parents, je supposai que si mon père sortait de son trou volontairement, il devait avoir une raison importante. Je ravalai alors mes questions et mes émotions et le laissai me repousser.

— Alors de quoi es-tu venu me parler ?

Son regard dur et métallique me figea jusqu’à la moelle.

— Je suis venu te parler de l’hôte dans lequel tu as transféré Lugh. Je crois que tu as dit qu’il s’appelait Peter Bishop ?

Le regard fut suivi d’un sourire triomphant.

Je secouai la tête pour nettoyer les toiles d’araignée qui encombraient mon esprit tandis qu’un certain nombre de réflexions écœurantes fleurissaient dans mon esprit. Der Jäger était le seul à connaître le nom de l’hôte fictif dans lequel Lugh aurait été transféré. Il avait très bien pu en informer ses comparses mais il ne me semblait pas être du style à jouer en équipe. Raphael m’avait dit que der Jäger était emprisonné dans le Royaume des démons et j’avais cru Raphael, persuadée qu’il ne ferait jamais quoi que ce soit qui puisse mettre Lugh en danger.

L’homme qui m’avait élevée comme sa fille m’observait maintenant avec une lueur prédatrice dans les yeux. Une lueur que je ne pus reconnaître que comme étant celle du mal. Raphael avait menti.

Je déglutis.

— Der Jäger, je présume ?

Moindre Mal
titlepage.xhtml
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_000.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_001.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_002.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_003.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_004.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_005.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_006.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_007.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_008.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_009.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_010.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_011.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_012.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_013.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_014.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_015.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_016.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_017.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_018.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_019.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_020.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_021.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_022.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_023.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_024.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_025.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_026.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_027.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_028.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_029.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_030.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_031.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_032.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_033.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_034.html